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LITTÉRATURES FRANCOPHONES
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Serge PEY face à son propre imaginaire…

1/« Toi qui défais le cercle qui me fait ne me défais pas »
(« Chant des Palmas », dans Poèmes à dire, Une Anthologie de poésie contemporaine francophone, présentation et choix de Zéno Bianu, Paris, Gallimard, 2002, p. 150-153).

Le cercle est la fondation du poème. Le poème appartient au mythe. Il est rond. Chaque jour il transforme le quotidien en légendaire. Il n’est pas une ligne droite. C’est pour cette raison que le poème danse. Le poème tourne dans le sens. Et en tournant, creuse un trou dans ce qu’on ne voit pas. Il fait un œil.
Ce texte appartient au rituel de la corrida. Il décrit les volutes et les mouvements de la cape au centre de l’arène qui est ronde comme une bouche. Le taureau tourne. Le torero aussi. La Corrida est un rite sacrificiel. Ce texte est une métaphore de la corrida. Il décrit les trois tercios jusqu’à la mise à mort. Il évoque la mort aussi de Joselito el Gallo. Toi qui fais le cercle qui me fait c’est le destin implacable. Je demande au nom du torero, qui peut-être va mourir, de lui laisser le temps de la création de son propre cercle.
Ce texte a été repris parallèlement à celui-ci pour le danseur derviche, Michel Raji. Il est la transposition dans ce qui tourne au centre du poème de l’inconnu.
C’est un refrain. J’utilise ce refrain et le texte qui en découle (La mère du cercle, ou les hommes taureaux du dimanche) dans une poésie d’action où avec un bâton je tourne en créant des moulinets avec ce bâton.

2/« Tout oiseau est un trait de soustraction entre un morceau de ciel et un morceau de vent »
(Bâtons de la différence entre les bruits, Rennes, La Part commune, 2009, p. 32).

La poésie est un système de définition mystique du connu. Elle est une spiritualité. À travers les actes du quotidien, elle invente des passages et des mathématiques qui lui font toucher le secret du monde. Elle est le monde des correspondances et des analogies. L’oiseau va immobiliser l’infini. Il me plaît de comparer l’oiseau à un signe. Le poème est un système de divination à lui tout seul. Il est un trait de soustraction. Car penser c’est soustraire pour ensuite inventer le monde. Tout ce que nous soustrayons est ensuite multiplié. Le poème est l’invention d’une mathématique que la mathématique ne comprend pas.

3/« Quand les poèmes sont des sacs d'ossements que nous rangeons comme des livres NOUS SOMMES CERNÉS PAR LES CIBLES »
(Dialectique de la Tour de Pise, Limoges, Le Dernier télégramme, 2010, p. 23 ; Labeluz/Harmonia Mundi, 2002).

Nous sommes cernés par les cibles est aussi un mot d’ordre et un refrain. Il est le titre de mon disque que j’ai fait avec André Minvielle. Je déporte ce mot d’ordre au sein d’ensembles de poésie engagée et dans la poésie tout court. Tout pour le poème est un exercice de tir. Le poète est un chasseur métaphysique. Sa cible est métaphysique.
Ce mot d’ordre, dans le fond, est un appel aux poètes pour leur dire que leur source d’inspiration est partout et que rien n’échappe à la poésie.

4/« Tout poème
est un masque sur le feu
Tout masque
est un miroir à l'intérieur du feu
Tout feu
salue le spectacle que lui-même
brûle »
(Poésie publique/Poésie clandestine, anthologie, Paris, Castor Astral, 2006, p. 150).

Les définitions de la poésie se suffisent à elles-mêmes. Le langage est un masque écrit à l’intérieur de lui-même de façon à ce que seulement celui qui le porte puisse le lire. Le poème aussi. Pour lire un poème, il faut se le coller sur le visage. L’incarner. En ce sens, la poésie est initiatique.
Paradoxalement, la poésie ne supporte pas de spectateur. Mais elle est un partage et un sacrifice commun. Une mise à mort totale de son prêtre et de l’assistant au rite de la lecture. La lecture d’un poème est ce feu. En ce sens, le poète demande au spectateur de devenir poète lui-même sans écrire. La poésie n’est pas un spectacle.

5/« Les signes habitent
le monde comme des couteaux
en traversant une orange noire »
(Rituel des renversements, Rennes, La Part commune, 2011, p. 143).

On écrit parfois des choses, on capte des images qu’on ne comprend pas forcément. La condition d’un poème est de préparer la venue de l’inconnu. Le secret d’un poème est d’être ouvert. Demander de commenter un vers est idiot et suppose une déformation scolaire. Surtout que le poème par définition est un continu qui s’explique ou s’ouvre à des polysémies. Un vers est un discontinu. Le contexte du poème est fondamental. Ce qui arrive après ou avant. Je ne vais pas faire l’injure de parler ici de La terre est bleue comme une orange de Paul Eluard.


6/« Que la disproportion qui existe entre le poids fini d'un saumon et le poids infini
d'une cascade est similaire à celle qui sépare un mouvement de libération et la société globale de l'oppression
QUE LE SAUMON EST UN POISSON RÉVOLUTIONNAIRE »
(Dialectique de la Tour de Pise, Limoges, Le Dernier télégramme, 2010, p. 127-128).

Le commentaire de cette citation est dans le poème tout entier. Justement le poème est l’explication. Je renvoie donc au poème et non à son extrait, car il faudrait que je recopie ici mon poème tout entier ! Mais puisqu’un poème est toujours une obscurité flamboyante, voici que je compare pour ceux qui ne l’auraient pas compris que le saumon dans sa fragilité ressemble aux utopistes qui veulent changer le monde. Ils sont confrontés à une masse telle d’oppression qu’il semble impossible de se mouvoir pour la changer. Le saumon montre le chemin en remontant la cascade qui pèse un million de fois de plus que lui. Le saumon est un poisson révolutionnaire car la cascade ne lui fait pas peur et qu’il analyse les contradictions de l’ennemi (la cascade) pour retourner sa force contre elle-même et donc de la dépasser.

7/« Trouer le poème
qu'on lit en public
passer sa main
au travers de la page
pour saluer
ceux qui sont devant nous »
(Lèpres à un jeune poète, principes élémentaires de philosophie directe, Toulouse, Délit Édition, 2010. Poème de l'anthologie Ahuc, poèmes stratégiques, Paris, Flammarion, 2012, p. 228).


Ceci est un extrait de Lèpres à un jeune poète (Délit édition). Ahuc est une anthologie.
C’est simplement la description d’une action. Il s’agit justement de lire en trouant le papier et de saluer ainsi le public. C’est la description d’une poésie d’action.
Un poème raconte exactement ce qu’il fait. Il faut appliquer le poème directement.
Cela signifie aussi que le poème est un corps, qui en s’échappant de la bouche de celui qui dit se réincarne soudain dans un autre.

8/« L'état confond la rime de nos vers avec ses publicités et ses slogans de propriétés sanglantes et avariées. /Nous avons des fusils poétiques. Nous avons des grenades de vers que nous lançons comme des grammaires et des conjugaisons d'avenir. »
(Agenda rouge de la résistance chilienne, Marseille, Al Dante, 2014, p. 21).

La confusion entre poésie et rime est devenue généralisée. Le XXe siècle n’est plus lu. Les modèles de la poésie sont les plus scolaires qui existent. À l’époque de la destruction de l’école et de l’enseignement de la littérature et de la chute massive du livre, les seules références sont celles de la rime qui « fait » le poème. En ce sens la publicité singe nos poèmes. La poésie dans sa quête d’avenir invente à chaque poème de nouvelles rimes entre la pensée et la vie. C’est cette dialectique entre la vie et le langage qui fonde la poésie. Mais aussi en intégrant une histoire de la poésie.
En ce sens la poésie est contre l’état ou plutôt les états de reproduction du poème. Cet extrait de l’Agenda rouge a peut-être quarante ans. Il fut écrit quand j’avais 25 ans. La poésie est nomade et non sédentaire. Elle est sans propriété. Le poète est celui qui contrôle l’état, il est un contre-état. La poésie n’est propriétaire que de ses dépossessions. Un vers est cela. La charge d’avenir contenu dans le poème est une utopie, une tension vers la réalisation du poème. La poésie est contre l’état au sens que Clastres, le grand ethnologue disparu, définit la société contre l’état.

À suivre... Ou pas...
Serge PEY – Propos recueillis par Justin FRAIPONT, mai 2015.
Mai 2015 (© Portrait Valerie.D)
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